2009/05/23

Lettre à ma mère - افريقيا قارتنا

Quand on parle d'Afrique noire, on dit que c'est un continent qu'on vole, qu'on asservit, des gens qu'on esclave, qu'on massacre..
Des patriarches, dictatures de milices auxquelles on vend des armes, de la famine, de la misère.
Des ONG qui ne sont pas assez présentes, des plans de développement qui n'aboutissent jamais, des dettes que le FMI n'arrange pas, des aides insuffisantes.
Des anciennes colonies auxquelles on n'a pas donné leur indépendance à 100%, ou l'on prone un néo-colonialisme culturel et économique..
La liste est longue, et les faits ne sont pas forcément erronés (ni corrects).

Ce que j'ai vu pendant quelques jours au Sénégal, plus précisément Dakar, Saint-Louis et la route entre les deux :

1) Le chaos :
Absence totale de toute forme d'organisation dans tous les aspects les plus rudimentaires de la ville.
Le désordre qui règne en maître.
Les déchets deviennent une preuve de civilisation, des vestiges d'une consommation, d'un ventre plein, de sacs de courses bien garnis.
La circulation est un déplacement instinctif de véhicules.
Le marché est un lieu de puanteur.
Les batiments ne portent pas plus que des matériaux de construction : on n'en est pas à parler d'architecture, le "style" n'a pas son sens.
Dakar est un ensemble de ruines qu'on occupe.
Ce qu'ont lissé les français est plus que délabré, ce que construisent les marocains ou les chinois commence à émerger en cacophonie au milieu d'un spectacle caricatural de chaos urbain.
Les sénégalais ne construisent pas.
La pollution prend tout son sens dans les villes sénégalaises.
La pollution dans toutes ses formes concerne tous les éléments : l'air, l'eau, la terre.
à Dakar, il n'y a rien à voir.

Au large de Dakar se trouve l'île de Gorée :

Le seul vestige colonial entretenu pour le plaisir des touristes.
Cet îlot en est vraiment un.

Sur la route entre Dakar et Saint-Louis, les déchets sont beaucoup moins remarquables : on consomme beaucoup moins, on ne vit pas bien.
D'un domaine et d'une nature (enfin) africaine, émergent des villages qui respirent une authenticité. Pas d'eau courante, des coupures d'électricité, pas d'assainissement. La brousse.

Saint-Louis était un joyau.
C'est là où ça fait le plus mal.

Je résume mal la situation dans ces deux grandes villes en disant que les sénégalais squattent leur pays.

Les villes sont des ruines coloniales.
La population vit au milieu de ruines coloniales qu'ils méprisent et ne s'approprient pas.
La population habite des constructions de fortune, dans le meilleur des cas des espèces de HLM construits par des investisseurs étrangers (marocains, chinois en majorité).

A la question "une gare de train et des chemins de fer existent pourtant à Saint-Louis.. pourquoi ne pas les utiliser?"
le sénégalais répond "mais ça c'est pas à nous. ça c'est à vous, les français."
Le docteur en biologie sénégalais explique : "Nous avons eu notre indépendance suite à un référendum remporté à 51%. 51% de cons."

Nous en venons au deuxième constat :

2) L'absence totale de notion de "Nation"
Les différentes ethnies qui partagent le territoire séngalais, et qui se trouvent sur d'autres pays de l'Afrique de l'ouest (Mali, Gambie, Mauritanie, etc.) ont chacune sa culture.
Des castes très bien définies existent au sein de la population.
Le Marabout, le sage, le noble, l'artisan, le serviteur, l'esclave.
Le sujet est d'ailleurs beaucoup moins tabu en Mauritanie, où l'esclavage est encore monnaie courante.

L'absence de lutte armée pour l'indépendance n'est peut être pas un hasard ; ça peut être même une explication.

Quand on n'a pas de Nation à défendre , à préserver et surtout à développer.
La nation, après tout, est un concept colonial!
Les frontières le sont!
On peut adhérer à ce concept, on peut aussi ne pas se l'approprier.

Ce n'est qu'un exemple d'un tas de notions jadis des "axiomes" pour moi, qui se trouvent remises en question au Sénégal.

Il m'est néanmoins très difficile, et même pénible de redéfinir :
- l'hygiène.
- la dignité de l'être.
- l'environnement.
- la labeur.

Cela ne demande pas un grand effort de réflexion de comprendre qu'à force de vivre dans des villes poubelles (et je pèse le mot) on s'y habitue.
L'homme a des facultés d'adaptation étonnantes, et ces gens en sont une preuve morbide.
Un ami, un grand esprit, dit que chacun de nous est composé de facettes, et que le fait de voir celles qui sont les moins luisantes chez autrui nous pousse à avoir cette réaction violente.
Je lui ai répondu qu'il avait raison, et que la preuve qu'en temps de guerre, le chaos règne instantanément, et les facettes "cachées" refont surface.

Ce pays, serait-il en temps de guerre?
Sinon, comment l'être humain peut-il évoluer dans ce sens là du Darwinisme? vers le chaos..?
Est-ce l'avènement des colons qui a bouleversé un équilibre fragile et non retrouvable?
Est-ce la comparaison avec les civilisations (antiques et modernes) du bassin méditerranéen qui perd tout son sens?
A qui est la faute si un peuple est suspendu entre un patrimoine qu'il ne sauvegarde pas, et un "progrès" ou une occidentalisation qu'il ne s'approprie pas?

J'arrive très mal à gérer mes idées, il me reste beaucoup de choses à dire, surtout que je me doute bien que la "misère" est une réponse immédiate à tout ce chaos.
Dans la prochaine lettre je ferai le constat de cette misère.
Je ne me relie malheureusement pas.

2 comments:

gaston said...

On attendra!

malek said...

Ca fait toujours plaisir de te lire ya nsoura !
On attends la suite